Article des Echos (Le Cercle) du 28/05/2013 | Fabien Risterucci | Politique économique
LE CERCLE. La France, pays à économie mature qui se remet en question, pourrait faciliter l’émergence d’un écosystème favorable au crowdfunding, ou Community Funding, et entrer dans un nouveau modèle de croissance.
Comme il est coutume de le dire dans les cercles bruxellois, les 23 millions de PME que compte l’Union européenne sont « la colonne vertébrale de son économie ». Parce que les PME ont un rôle majeur dans l’économie et la croissance, il est indispensable de faciliter leur développement afin qu’elles assurent ainsi le retour à une croissance durable dans les pays européens.
En situation de crise économique, nombreuses PME, notamment issues des économies du sud de l’Europe et de France connaissant un taux de chômage élevé, manquent de liquidités. Elles sont prises en étau, et la majorité d’entre elles se trouvent étranglées. Les nombreuses et couteuses mesures nationales de retour à la croissance n’y peuvent rien.
Il est à présent impératif de réduire le lourd fardeau bureaucratique qui pèse sur les épaules des entrepreneurs, de libérer les forces vives afin de redonner de la compétitivité aux entreprises.
Dès lors, l’amélioration de l’accès au financement souvent en amorçage des PME ainsi qu’une diversification de ses sources, comme la finance participative, également appelée finance collaborative ou crowdfunding, et que j’appelle « Community Funding » s’avèrent indispensables. Une forte initiative en ce sens servirait le développement économique et la création d’emplois en tant que tremplin favorisant l’esprit d’entreprise, la valeur travail, palliant par là même le manque de désir de prendre des risques qui est une caractéristique de nos sociétés. Cela permettrait de promouvoir l’initiative personnelle créatrice de valeur ajoutée et de prospérité en vue d’un bien collectif, tout en favorisant le rôle des femmes-chefs d’entreprises dans l’économie. Il n’y a pas de boîte à outil miracle autre qu’une réelle valorisation et une facilitation de la vie des entrepreneurs, seules solutions peut-être pour sortir les pays de la crise.
Dans un article du 1er mai 2012, j’exposais un repositionnement possible de la France sur l’échiquier de l’économie mondiale, inspiré du modèle entrepreneurial israélien et des atouts qu’offre la finance participative.
Un an après, beaucoup reste à accomplir dans un pays qui ces dernières années a vu émerger un nouveau type de start-ups. Des plateformes internet particulièrement innovantes permettent à de nombreux apporteurs d’argent d’investir de petites sommes dans des projets. Ces épargnants ont alors la possibilité de choisir la destination finale de leur argent (entreprise, projet créatif ou social) sous formes multiples : dons ou souscription avec contreparties en natures ou financières dites « rewards » ou « production » (Ulule, KissKissBankBank, Bulb in Town, Arizuka, Babeldoor, Touscoprod, Reservoir Funds, IAmLaMode, United Donations), sous forme également de fonds propres avec prises de participations dans le capital d’une entreprise (Wiseed, Finance Utile, Anaxago, SmartAngels, Afexios), sous forme de prêts rémunérés (Prêt d’Union, le site d’épargne solidaire Spear), ou encore de prêts non rémunérés (Babyloan, hellomerci). Lumo se spécialisant quant à elle sur les énergies renouvelables. Cette liste n’est pas exhaustive.
Au niveau mondial, et selon l’étude Massolution, 2,7 milliards de dollars ont ainsi pu être collectés en 2012 sur plusieurs centaines de plateformes, dont celles susdites. En 2013, ce ne sont pas moins de 5 milliards de dollars de collecte qui sont prévus. Mais si l’on regarde de plus près, les chiffres encore plus récents sont encourageants. Il se pourrait bien que les 6 milliards de dollars soient atteints à la fin de cette année. David Drake et TheSohoLoft envisagent quant à eux une industrie estimée à 1 000 milliards de dollars en 2020.
En France, pareillement les sommes collectées par les plates-formes internet enregistrent une progression exponentielle. Celle-ci pourrait être d’une tout autre importance, et surtout avoir un impact économique supérieur, si les plates-formes bénéficiaient d’un cadre réglementaire adapté à la nature et aux risques potentiels limités qu’engendre leur activité.
Pour répondre aux multiples sollicitations et inquiétudes exprimées, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) et l’Autorité de Contrôle Prudentiel (ACP) ont publié conjointement le 14 mai dernier deux « Guides du crowdfunding », l’un à destination du grand public et l’autre à destination des plates-formes et des porteurs de projets. S’ils ne sont en réalité qu’un guide, ils ont le mérite d’exister. D’aucuns pensent que ce rappel à l’ordre et les références réglementaires inhérentes confirment la limitation du champ des possibles de ce nouvel outil de financement.
Fort d’un communiqué commun les ministres de Bercy sont également venus rappeler l’engagement que le Chef de l’État avait pris le 29 avril dernier, à l’occasion de la clôture des Assises de l’Entrepreneuriat, en assurant que « l’établissement d’un cadre juridique sécurisé de déploiement de la finance participative en France » se fera « dès septembre avec des propositions précises pour construire un cadre qui favorise l’essor de ce nouveau mode de financement des projets ».
Ainsi, après des mois d’échanges et de sensibilisation en petits comités sur les atouts qu’offre la finance participative, cette synchronisation entre administrations dénote un réel engagement des autorités envers une action concrète sur le sujet, par ailleurs d’actualité et source d’intérêt pour nombreux partis politiques, en vue des prochaines élections locales.
Capitalisant sur ce premier pas et d’ici l’échéance du mois de septembre, nous avons au sein de l’association professionnelle Financement Participatif France (FPF) le devoir d’avancer main dans la main avec les autorités et les multiples partenaires soutenant la finance participative. En tant que force de propositions et de réflexion éclairée quant à un éventuel statut spécifique d’établissement de financement participatif, il convient de repousser de fait l’épée de Damoclès qui pèse sur l’activité des plates-formes, lesquelles se voient appliquer une réglementation inadaptée en rapport au risque réel engagé par les membres de leur communauté.
Les acteurs de la finance participative s’y sont déjà astreints en créant une association professionnelle et en travaillant sur un Code de déontologie, qui est un code de bonnes pratiques engageant les plates-formes à fournir des services en toute transparence, sécurité, assistance, éthiques, et respectant les lois et règlements.
Sur cet élément important, je voudrais faire un parallèle entre la finance participative et la Microfinance en reprenant l’illustration utilisée par Emmanuelle Javoy de Planet Rating pour qui « la Microfinance est un outil multifonction à l’image du couteau ». C’est-à-dire un « outil à la fois utile dans le quotidien, qui peut être dangereux » s’il est trop ou mal utilisé « et qui permet des transformations merveilleuses ». Il est pressant, à mon sens, d’offrir un cadre adapté aux plates-formes internet afin qu’elles puissent rendre possible la partie merveilleuse tout en veillant à éviter les conséquences dangereuses de mauvaises pratiques.
Si l’action menée se situe à l’échelon national, une initiative au niveau européen est également en marche avec le European crowdfunding Network. Pour avoir participé à diverses rencontres et discussions avec des responsables de la Commission européenne ou du Comité économique et social européen, à Bruxelles, ou bien lors de la première Assemblée des PME organisée à Chypre en novembre dernier, j’atteste que le crowdfunding fait déjà partie de la grille de lecture comme moyen complémentaire de financement des PME.
D’ailleurs, l’atelier de travail organisé par la DG Marché Intérieur et Services de la Commission européenne afin d’examiner l’exploitation des potentiels et la réduction des risques relatifs au financement participatif, en présence notamment du commissaire Michel Barnier confirme la direction prise vers une probable évolution à terme des textes européens.
L’économie européenne, et la France en particulier, pourraient profiter d’une dynamique entrepreneuriale décuplée en libérant les énergies, tant par un meilleur assouplissement du marché du travail suggéré par nombre de parlementaires de droite comme de gauche y compris le député Pierre-Yves Le Borgn’ issu du monde de l’entreprise, que par une réduction des nombreuses lourdeurs administratives, le tout conjugué à un accès facilité à la finance participative.
En période de crise économique et morale, l’exode des esprits créatifs ne peut être la solution. La détermination des milieux entrepreneuriaux privés ou institutionnels est plus que jamais exacerbée, si bien que le milieu de la finance participative se mobilise en Europe. Par exemple, en marge d’une semaine du crowdfunding, des rencontres en Pologne, en Allemagne et aux Pays-Bas ont été organisées au mois d’avril.
Elles ont réuni les principaux experts du secteur en Europe, avec comme point phare la conférence de Berlin « The Future of Crowdfunding » à laquelle FR Prospektiv en tant que partenaire représentait l’association française. Les échanges ont été riches et mutuellement bénéfiques. Nos multiples actions en France trouvent écho en Europe.
En effet, certains de nos collègues européens ont exprimé un intérêt particulier pour répliquer dans leur pays le concept du « Tour de France de la Finance participative » initié par notre association le 11 octobre 2012 à Limoges. Ce périple a pu voir le jour avec le soutien actif de nombreux partenaires, notamment Limousin Business Angels pour cette édition, et la forte implication de Compinnov. En attendant la poursuite de ce Tour de France, la seconde étape a été conjointement organisée avec la région Poitou-Charentes le 21 mars dernier à Poitiers.
Finalement, j’en arrive à poser la question : et quid d’un Tour d’Europe co-financé par des fonds européens ?
Étudiant le Community Funding depuis début 2011, il est fascinant de mesurer combien il permet d’agréger les entrepreneurs, les créateurs, le secteur financier, les gouvernements, les territoires, les acteurs du développement économique et par-dessus tout nous tous, citoyens français ou citoyens du monde que nous sommes.
Personne ne sait aujourd’hui ce qu’il adviendra de la finance participative d’ici deux ans. Ce qui est certain c’est qu’elle va devenir une réelle alternative pour les start-ups et le capital d’amorçage.
Il est à espérer que le dynamisme et la créativité des entrepreneurs, le rôle précurseur de certains acteurs sur le marché de l’amorçage, par exemple les plateformes françaises Wiseed et Finance Utile qui en ont inspiré tant d’autres à l’étranger, seront préservés et même valorisés par un nouveau cadre réglementaire à la fois audacieux, non discriminatoire, tout à fait complémentaire avec les autres acteurs du financement, et assurant le professionnalisme de cette industrie naissante.
Il n’y a d’alternative à une politique économique qui ne soit fondée sur la facilitation de la vie des entrepreneurs, de celles et ceux qui ont envie de créer. En parallèle de la nouvelle bourse des PME plus établies, EnterNext, permettre l’émergence de la finance participative serait pour les autorités le signe d’une volonté de réconciliation avec le monde du capital.
À l’instar de Montesquieu qui observait dans les Lettres Persanes que « ceux qui mettent au jour quelques propositions nouvelles sont d’abord appelés hérétiques », l’exploration de nouvelles voies d’un capitalisme populaire ne va pas forcément de soi pour les décideurs politiques. Parce que comme l’affirme si bien Joseph Aloïs Schumpeter : « entreprendre consiste à changer un ordre existant ».
Fabien Risterucci