Note rédigée par Hubert de Vauplane et Reid Feldman,
avocats associés chez  Kramer Levin, partenaire de FPF

L’objet de cette note est de présenter[1] brièvement[2] deux dispositions du projet de loi Macron[3] qui intéressent directement les plateformes de financement participatif :

  • Une réforme du régime des bons de caisse* ;
  • L’ouverture du monopole bancaire au crédit interentreprises.

Il convient de rappeler en effet qu’aujourd’hui deux types d’exceptions au monopole bancaire existent pour les entreprises : le « crédit fournisseur », c’est-à-dire les avances ou délais de paiement ; et le « crédit de trésorerie intra-groupe ». Mais il reste impossible à une entreprise de prêter à une autre entreprise si ces deux entreprises n’appartiennent pas à un même groupe, ou pour reprendre la loi, si l’une des sociétés n’a pas « des liens de capital conférant à l’une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres ». Ainsi, toute « opération de crédit », au sens où l’entend la loi, est réservée à un établissement de crédit ou une société de financement. C’est ce que l’on appelle le monopole bancaire.

C’est ce même monopole qu’est venu modifier l’ordonnance du 30 mai 2014 en autorisant les « personnes physiques qui, agissant à des fins non professionnelles ou commerciales, consentent des prêts dans le cadre du financement participatif de projets déterminés, conformément aux dispositions de l’article L. 548-1 et dans la limite d’un prêt par projet » (article L. 511-6 du code monétaire et financier).

Le projet de loi Macron vient apporter deux nouvelles possibilités de financement pour les entreprises sans recourir à des établissements de crédit ou des sociétés de financement.

1/ – S’agissant de la réforme du régime du bon de caisse, le projet de loi prévoit une habilitation donnée au gouvernement pour légiférer par ordonnance (dans les neuf mois qui suivent la publication de la loi) afin de modifier le régime du bon de caisse tel qu’actuellement prévu par le code monétaire et financier (quatre articles seulement traitent du régime du bon de caisse dans le code).

L’ordonnance à venir traitera ainsi :

  • De la protection des souscripteurs de bons de caisse et des obligations qui pèsent sur les émetteurs de bons de caisse ;
  • Des conditions dans lesquelles la règlementation relative au financement participatif doit être modifiée pour permettre l’intermédiation des bons de caisse mais aussi des titres de créances dans le cadre du financement participatif.

Cette ordonnance sera vraisemblablement suivie de texte d’application, sous forme de décret ou de compléments au règlement général de l’AMF. Les questions principales qui se posent à ce stade sont de déterminer laquelle des deux autorités entre l’AMF et l’ACPR aura le contrôle de l’intermédiation des bons de caisse ; et quel sera le statut nécessaire pour les intermédiaires de ces bons de caisse. Ceci dépend en partie de l’analyse juridique du bon de caisse, lequel en l’état actuel des textes n’est ni un instrument financier, ni une valeur mobilière, ni un titre de créance négociable, ni un effet de commerce. Or, selon la qualification retenue du bon de caisse, c’est le régime de l’offre au public de titre ou celui des exceptions au monopole bancaire qui s’applique.

*Qu’est-ce que le bon de caisse ?

Le bon de caisse est un instrument ancien qui permet à des entreprises  de se financer directement auprès d’un prêteur. Il est défini par la loi comme un titre à ordre ou au porteur comportant engagement par un commerçant de payer à échéance déterminée, et délivrés en contrepartie d’un prêt. Il s’agit d’un titre représentatif d’une dette, et non d’un instrument financier (comme une obligation) ou un contrat de prêt (comme une opération de crédit soumise au monopole bancaire). Il est facilement transmissible sans pouvoir faire l’objet d’une cotation en bourse. En fait, il s’agit d’une reconnaissance de dette. Ils ne peuvent être souscrits à plus de cinq années d’échéance. Vestige de son ancienneté, le bon de caisse ne peut pas être   dématérialisé, ce qui nécessite une gestion un peu lourde. Toutefois, l’ordonnance à venir pourrait modifier ces caractéristiques, car il est prévu qu’elle modifie notamment les dispositions du code monétaire et financier relatives aux titres de créances (sous-catégorie des titres financiers).

2/ – Quant à l’ouverture du crédit interentreprises, il s’agit à l’origine d’un amendement présenté par le député Fromentin, repris à son compte par le gouvernement.

Selon les statistiques de la Banque de France à fin décembre 2014[4], les encours de crédits bancaires mobilisés des PME, ETI et grandes entreprises atteignent 685,7 milliards d’euros hors catégorie « divers SCI ». Les encours de crédits pour les seules PME représentent un encours de 372 milliards d’euros. Ces chiffres sont à rapprocher du « crédit inter-entreprises » qui, selon l’Observatoire des délais de paiement, représente en France environ 605 milliards d’euros (chiffres 2011). Ce crédit inter-entreprises s’entend par l’encours de créances clients, diminué des avances versés par anticipation par ceux-ci. La difficulté tient ici à la définition donnée au « crédit inter-entreprises », lequel correspond à ce que le code monétaire et financier défini comme des « délais ou avances de paiement », et non véritablement à un prêt.

Voilà donc une nouvelle facilité de financement aux entreprises. Comment fonctionne-t-elle ? La loi encadre cette faculté de façon à ne pas en dévoyer l’objectif.

  • La première condition tient à la nature même des relations entre prêteur et emprunteur. Il doit exister des « liens économiques » justifiant ces opérations de crédit entre prêteurs et emprunteurs. Si cette notion de « liens économiques » n’est pas définie par la loi (et tant mieux en ce qu’elle permet une souplesse d’interprétation), on en comprend la logique. La raison de cette limitation est claire : seules des entreprises en relations d’affaires disposent d’une appréciation pertinente du risque de solvabilité entre elles. Tel est bien sûr le cas entre grands donneurs d’ordres et sous-traitants, situation clairement visée par le législateur.
  • La seconde condition à trait à la qualité d’emprunteur : microentreprises, PME, ETI[5]. Sont donc exclues les grandes entreprises.
  • La troisième condition est relative à la qualité de prêteur. Si toutes les sociétés par actions et les SARL sont susceptibles de prêter, sous réserve d’obtenir une certification de leur commissaire aux comptes, encore faut-il que ces sociétés soient en situation de trésorerie excédentaire, ce que ne dit pas expressément la loi mais ce qui sera précisé par décret. Les parlementaires se sont d’abord interrogés sur la nécessité de fixer des plafonds maximum tant à l’emprunteur qu’au prêteur, mais cette limitation a finalement été écartée. Outre la difficulté de trouver le bon calibrage, cette disposition risquait de limiter excessivement les acteurs qui voudraient s’engager dans un système de prêt interentreprises. Par ailleurs, conscient du risque que cette situation peut faire naitre, l’entreprise prêteuse ne pourra pas utiliser ces prêts pour mettre l’emprunteur dans une situation de dépendance économique en lui imposant des délais de paiement.
  • La quatrième condition concerne le prêt lui-même : seules les opérations de financement court terme, n’excédant pas deux ans, sont possibles. Ces crédits devront être formalisés dans un contrat de prêt, et le cas échéant ceux-ci devront répondre au formalisme des conventions réglementées.
  • La cinquième condition est relative au caractère accessoire de ces opérations de prêts par les entreprises prêteuses. Ces opérations ne doivent pas constituer leur activité principale, ce qui ferait d’elles des établissements de crédit ou de sociétés de financement. Accessoire ne veut pas dire occasionnel. Ce n’est donc pas tant la fréquence des opérations qu’il faut regarder que les montants prêtés par rapport au chiffre d’affaires. Mais rien n’est dit dans la loi sur cette proportion.
  • La sixième condition est une condition négative : l’octroi d’un prêt ne peut avoir pour effet d’imposer à l’emprunteur des délais de paiement ne respectant pas les plafonds légaux définis aux articles L. 441-6 et L. 443-1 du code de commerce.

Notons enfin l’impossibilité de transférer ces prêts à des organismes de titrisation ou de faire l’objet de contrats constituant des instruments financiers à terme ou transférant des risques d’assurance à ces mêmes organismes ou fonds. L’idée est ici de ne pas dévoyer l’objectif de cet amendement. En laissant la possibilité de titriser les crédits ou de les couvrir par des dérivés de crédit, on risquait de voir certaines sociétés tirer profit des situations de marchés en empruntant à des taux bas pour prêter à des entreprises à des niveaux plus élevés, le tout en procédant à des transferts de risque de crédit par cession de créances dans le cadre d’opérations de titrisation afin de ne pas alourdir leur bilan. Tel n’est pas l’objectif du législateur : l’idée est que l’entreprise prêteuse garde son crédit dans son bilan jusqu’à son échéance. Bien sûr, rien ne lui interdit de céder sa créance de prêt, mais pas dans le cadre d’une opération de titrisation. Ce qui devrait largement diminuer le risque d’une « financiarisation »  du crédit inter-entreprises. La sanction du non-respect de cette interdiction est lourde : la nullité des opérations.

Mis à part ces six conditions, il n’y a rien d’autre qui pèse sur les entreprises prêteuses ou emprunteuses. Toutefois, un décret en conseil d’Etat viendra préciser les conditions et les limites dans lesquelles ces sociétés peuvent octroyer ces prêts. Si l’idée d’ouvrir la possibilité aux entreprises à se prêter entre elles doit être saluée, il convient de veiller à ce que cette faculté ne conduise pas à une plus grande emprise des grands donneurs d’ordres sur leurs fournisseurs, ajoutant encore plus de dépendance économique[6] (dont on rappelle que l’abus est prohibée par le code de commerce[7]), mais aussi financière vis-à-vis de ces grandes entreprises. C’est d’ailleurs là la principale objection avancée lors des débats parlementaires. Car si depuis 2010 il existe une Charte régissant les relations entre grands donneurs d’ordres et PME, force est de constater que certaines TPE et les PME restent fortement sous la dépendance de leurs grands clients.

Signalons enfin un assouplissement du régime des prêts octroyés par certaines associations et fondations (article L. 511-6, 5° du code monétaire et financier) qui voient désormais la possibilité de se financer non seulement auprès de personnes physiques mais aussi de personnes morales, toujours à titre gratuit.

Jusqu’à ce jour, la France était l’un des très rares pays au sein de l’Union européenne à prévoir un régime très restrictif dans l’octroi de crédit par une entreprise à une autre entreprise. Avec la loi Macron, c’est donc une ère nouvelle du crédit interentreprises qui s’ouvre en France, rapprochant notre pays de ce qui se passe chez ses voisins les plus proches.

Paris, le 18 juin 2015

 

[1] Le présent mémorandum ne constitue pas un avis juridique.

[2] Ce memo a été rédigé au regard des textes publiés sur les sites du Sénat et de l’Assemblée nationale en date du 18/06/15.

[3] Une fois voté, le projet de loi doit encore attendre l’examen par le Conseil Constitutionnel en cas d’éventuel recours formé par des parlementaires. Ce n’est qu’une fois promulgué que la loi entrera en vigueur, sous réserve de l’adoption des textes d’application lorsque cela est prévu.

[4] https://www.banque-france.fr/economie-et-statistiques/stats-info/detail/credit-aux-entreprises-encours.html

[5] Ces catégories sont définies par le décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d’appartenance d’une entreprise pour les besoins de l’analyse statistique et économique.

[6] https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Publications/Vie-pratique/Fiches-pratiques/Abus-de-dependance-economique

[7] https://www.courdecassation.fr/publications_26/rapport_annuel_36/rapport_2009_3408/etude_personnes_3411/commerciale_cour_3420/economique_droit_3432/economique_droit_15342.html